Ce que permet un dispositif d’exception comme l’état d’urgence, c’est non seulement le contrôle des allées et des venues dans le territoire et aux frontières, mais aussi l’exécution de perquisitions sur ordre express du préfet, donc sans le contrôle d’un juge (entre autres mesures d’assignations à résidence, et de fermetures de lieux jugés sensibles).
C’est donc sans surprise que les assignations à résidence, et les perquisitions se multiplient. Bernard Cazeneuve pouvait se féliciter, mercredi 3 décembre, du nombre de 2235 perquisitions administratives effectuées depuis le début de l’application de l’état d’urgence. Sans surprise encore, toutes ces actions de police visent majoritairement ceux que nous nommerons, par souci pédagogique, « les musulmans un peu trop voyants ».
L’une des rares vertus de cette période aura été d’ouvrir une série de débats sur quelques points aveugles de notre conversation collective. Avec cette propension des autorités à viser « les musulmans un peu trop voyants »
Les termes des ordres publiés sur les réseaux sociaux laissent voir qu’elles sont parfois menées au domicile de certaines personnes sur la seule base juridique qu’elles sont « radicalisées ». C’est la doctrine du filet: on ratisse, et même si on ratisse trop large, il y en aura forcément un dans le lot qu’il fallait ramasser. Sauf que pour un véritable terroriste arrêté, on en fabrique des dizaines d’autres qui n’étaient pas prédestinés à le devenir.
Il suffit de lire les témoignages pour comprendre ce que cette période va donner. Depuis quelques jours, certains racontent ce qu’ils ont vécu sur Twitter, photos à l’appui. Ici un jeune empoigné violemment dans la rue, mains dans le dos, plaqué contre le mur, à se faire hurler dessus par des gabarits tous plus intimidants les uns que les autres. Il porte une barbe et se trouvait au mauvais endroit après les heurts place de la République.
Là, une femme portant le voile intégral (on ne sait même pas si elle le porte dans la rue), voyant arriver chez elle une troupe de huit policiers, qui la palpent en rigolant devant ses enfants, qui retournent tout l’appartement, et qui partent en laissant le dessin d’un pénis sur une prière collée à sa porte.
Prime à l’ignorance: cette femme, se revendiquant d’un salafisme ultra-orthodoxe, est aussi bien connue pour son activisme anti État-Islamique (EI). Ce que l’on pourrait comprendre si l’on se donnait la peine de connaître un minimum ces différents courants qui structurent un univers de pensée salafiste loin d’être homogène.
On imagine déjà un interlocuteur djihadiste convaincu: « tu vois, je t’avais dit que ton Islam politique ne te protègerait pas: la seule façon de protéger les Musulmans c’est de prendre les armes. » Remercions le Ministère de l’Intérieur français pour cette campagne publicitaire gratuite au bénéfice d’une certaine compagnie de cars, dont les lignes entre l’Europe et la Turquie, rampe de lancement des combattants vers la Syrie, n’ont pas vraiment été désertées ces derniers mois.
Tandis qu’une perquisition mal ciblée pourrait manquer une vraie cache d’armes, elle pourrait aussi transformer un gamin perdu en partisan convaincu de l’EI.
Dans un état de droit, en tous cas, non. Est ce qu’on pense vraiment que ces scènes brutales, telles qu’elles sont décrites, photos à l’appui, vont rendre ces gens plus républicains, alors qu’ils les subissent sans rien avoir à se reprocher que leurs opinions?
Est ce qu’un énarque fort instruit, quelque part, dans un bureau, s’est vraiment dit que de mettre à sac l’appartement de religieux ultra-orthodoxes allait les convertir à la laïcité et faire d’eux d’impeccables patriotes?
Les choses, finalement, sont assez simples à prédire: ce que nous faisons, par ces actions de police de masse, aveugles, ce n’est ni plus ni moins que de planter les graines de la prochaine génération de djihadistes. A chaque perquisition arbitraire, à chaque assignation à résidence injustifiée, on envoie des charrettes de gamins en Syrie, avec la bénédiction des autorités de ce pays.
Huffington Post