
Il est déjà possible de déchoir de la nationalité des djihadistes français de naissance, plaident plusieurs juristes et spécialistes de droit. Et les textes qui le permettent ont été appliqués de nombreuses fois depuis 1945.
C’est une information qui est passée presque inaperçue pendant des jours dans le débat sur la déchéance de nationalité: oui, il est déjà possible de déchoir des Français de naissance, point n’est besoin de voter une nouvelle loi, et a fortiori une loi constitutionnelle, affirment plusieurs juristes et spécialistes de la nationalité. Il a été souvent répété, au contraire, qu’on ne peut pas déchoir de leur nationalité des Français de naissance, mais seulement des Français qui ont acquis la nationalité française. Et il a été aussi dit et répété que de telles déchéances n’ont plus été opérées depuis Vichy. Ces deux informations ne sont pas strictement vraies si l’on en croit les travaux de Jules Lepoutre, doctorant en droit public à l’université de Lille, qui a fouillé les archives du droit de la nationalité.
Des déchéances de nationalité ont bien été prononcées pour des Français de naissance, du moins si l’on entend par déchéance de nationalité les trois critères suivants, explique le chercheur: une privation de la nationalité, à titre de sanction et à l’initiative de l’autorité publique. Entre 1949 et 1967, environ 523 déchéances de personnes de nationalité française ont été prononcées, parmi lesquelles on trouve «de nombreux Français de naissance», même si ces derniers n’étaient pas majoritaires.
Débat focalisé sur l’article 25 du code civil
Pourquoi les a-t-on oubliées? Pourquoi ces déchéances de nationalité ne sont-elles jamais citées? Et pourquoi affirme-t-on, alors, qu’on ne peut pas déchoir des Français de naissance?
Parce que d’une part, explique Jules Lepoutre, ces déchéances là n’ont pas été appelées «déchéance de nationalité». On les nommait «libérations d’office des liens d’allégeance».
Il existe d’autres articles du Code civil permettant de déchoir de la nationalité, particulièrement l’article 23-7, affirme Jules Lepoutre.
Déchoir un djihadiste prendrait «quinze jours»
Comme Jules Lepoutre, l’historien spécialiste de la nationalité Patrick Weil, qui a signé avec ce dernier une tribune dans Le Monde et une autre dans Libération, juge également que «même si cette disposition n’a plus été utilisée par la suite, elle reste présente dans notre droit».
Les deux chercheurs citent un texte du Conseil d’Etat du 20 mars 1964 et avancent que l’institution «a dégagé des situations dans lesquelles le défaut de loyalisme de l’individu peut être retenu pour le priver de sa nationalité, par exemple « l’entretien avec des organismes […] étrangers de relations incompatibles avec sa qualité de citoyen français »», un défaut de loyalisme qui «s’applique à n’en pas douter au Français qui se comporte comme un terroriste au service de Daech» et permettrait peut-être même de ne rien changer du tout à la loi.
Des conclusions auxquelles aboutit aussi le magistrat Charles Prats dans Le Figaro, qui affirme qu’on peut actuellement déchoir de sa nationalité un djihadiste en quinze jours:
«Le droit permet aujourd’hui de retirer la nationalité française à tous les individus prêtant leur concours d’une manière ou d’une autre à Daech, qu’ils soient binationaux ou seulement français. Et ce, sans même qu’il n’y ait besoin d’une condamnation judiciaire pour acte de terrorisme.»
Slate