Les employés d’Amnesty International à Moscou ont eu une mauvaise surprise en arrivant à leur bureau à 10 heures, mercredi 2 novembre, situé au centre de la capitale russe. Posées à même le sol au milieu d’un petit tas de copeaux et de fils, les serrures ont été arrachées, l’alarme a été débranchée et l’électricité coupée. Un scellé sur la porte, portant le cachet de la ville de Moscou, interdisait à quiconque de pénétrer dans les locaux sans « la présence d’un responsable municipal ». Interloquée, l’équipe de l’ONG international de défense des droits humains a tenté de joindre le numéro affiché. Sans succès.
« Nous ne savons pas ce qui a incité les autorités de Moscou à empêcher notre personnel d’accéder à nos bureaux », a réagi dans un communiqué John Dalhuisen, directeur Europe d’Amnesty International. Mais, ajoute-t-il, « étant donné le climat actuel de la société civile en Russie, il existe manifestement de nombreuses explications plausibles ». En parallèle aux associations et organismes russes, promptement classés « agents de l’étranger » dès qu’ils contreviennent au discours dominant du Kremlin, les ONG internationales sont en effet de plus en plus dans le collimateur du pouvoir.
« La tête dans le trou des WC »
La fermeture du bureau d’Amnesty à Moscou intervient au lendemain d’une critique vigoureuse de son responsable, M. Nikitine, après l’émoi suscité par le sort d’Idlar Dadine. Condamné à deux ans et demi de prison, et expédié en septembre dans le camp pénitentiaire n°7, à Segueja, en Carélie (nord-ouest de la Russie), cet homme de 34 ans a dénoncé la torture qu’il y subit dans une lettre adressée à sa femme par l’intermédiaire de son avocat, et rendue publique sur le site Internet Meduza.
« Nastia [diminutif d’Anastasia], si tu décides de publier ces informations qui me concernent, essaie de les diffuser le plus largement possible. Cela permettra d’accroître mes chances de rester en vie », écrivait-il, avant de détailler les mauvais traitements infligés. Battu à plusieurs reprises, il racontait ainsi son enfer : « Il y avait jusqu’à dix ou douze personnes à me frapper à coups de pied en même temps. Après le troisième passage à tabac, ils m’ont fourré la tête dans le trou des WC du mitard. »
Suspendu par les mains menottées derrière le dos, menacé de viol et de mort pour le dissuader de poursuivre sa grève de la faim, Idlar Dadine est le premier prisonnier à avoir été condamné par l’article 212.1, introduit en 2014 dans le code pénal russe, qui punit jusqu’à cinq ans de prison toute personne participant à une manifestation ou un meeting « violant les règles ». A plusieurs reprises, M. Dadine avait, tout seul à Moscou, brandi des pancartes critiques envers le pouvoir – l’une d’elles proclamant seulement « Je suis Charlie ».