Après les propos d’Emmanuel Macron sur la colonisation qu’il a qualifiée de «crime contre l’humanité», l’historien Benjamin Stora réagit. Il donne raison au candidat.

La colonisation est-t-elle un crime contre l’humanité ?
BENJAMIN STORA. La définition juridique est très large : elle englobe aussi bien la Shoah que l’esclavage ou la colonisation. Cela fait très longtemps que les historiens ont apporté la preuve de massacres, de crimes, de tortures durant la longue période de la colonisation. En 1959, Michel Rocard publiait un rapport concluant à des déplacements de 2 millions de paysans en Algérie. Mais la France a construit un système juridique qui fait qu’aucune plainte ne peut aboutir et que cette période ne peut être jugée.
C’est-à-dire ?
Il est indispensable, pour qu’un crime contre l’humanité soit reconnu, qu’un Etat ou un particulier dépose plainte. C’est ce qu’avait tenté de faire Rocard en attaquant en 1986 Jean-Marie Le Pen pour torture pendant la guerre d’Algérie. Mais, en raison des lois d’amnistie votées dans les années 1960, aucune plainte ne peut aboutir. Seules des poursuites devant des tribunaux internationaux pourraient débloquer le processus. C’est un problème d’autant plus insoluble qu’en France, dès que l’on prononce les mots « crimes contre l’humanité », le débat se clôt ou se politise.
Il est quasiment interdit d’évoquer tout acte de violence commis par la France pendant la colonisation. On oppose immédiatement l’apport des « Lumières », l’oeuvre civilisatrice de la France… Or, en matière de colonisation, la France a bâti un faux modèle républicain : elle a proclamé le principe d’égalité mais ne l’a que rarement mis en pratique.
Le Parisien