Saisis en référé, les juges voient dans le burkini « l’expression d’un effacement » de la femme non conforme à son statut « dans une société démocratique ».

C’est un nouveau camouflet pour le Collectif contre l’islamophobie en France(CCIF). Après avoir validé l’arrêté d’interdiction du burkini sur les plages de Cannes, le tribunal administratif de Nice valide ce lundi 22 août en référé sa prohibition sur les plages de Villeneuve-Loubet. Différence notable : l’ordonnance a cette fois-ci été rendue en collégiale, à la différence de celle de la semaine dernière, prise par un seul magistrat. Les juges s’alignent néanmoins sur la position de leur collègue et arguent de « l’ordre public » pour justifier l’interdiction.
Là où, la semaine dernière, le juge voyait dans le burkini l’expression de « signes religieux ostentatoires », le tribunal qui a statué cette semaine en référé y voit « l’expression d’une revendication identitaire ». « Même si certaines femmes de confession musulmane déclarent porter, selon leur bon gré, le vêtement dit “burkini”, pour afficher simplement leur religiosité, ce dernier, qui a pour objet de ne pas exposer le corps de la femme (…) peut également être analysé comme l’expression d’un effacement de celle-ci et un abaissement de sa place qui n’est pas conforme à son statut dans une société démocratique », peut-on lire.
« Un abaissement de la femme » pas conforme avec la démocratie
« Les plages ne constituent pas un lieu adéquat pour exprimer de façon ostentatoire ses convictions religieuses », osent les juges pour qui, « dans un État laïc, elles n’ont pas vocation à être érigées en lieux de culte ». Une nouvelle fois, le tribunal administratif cite les attentats récents, l’assassinat d’un prêtre à Saint-Étienne-du-Rouvray et le risque « d’exacerber les tensions » pour justifier l’interdiction. Le port du burkini peut être interprété comme relevant du « fanatisme religieux » à même de choquer les croyants ou non-croyants attachés au principe d’égalité des sexes, note le tribunal.
3. Sur le port du Burkini, le TA donne une interprétation sans nuance. pic.twitter.com/LB72LfSKE2
— S. Ibn Salah (@IbnSalah) 22 août 2016
L’interdiction du burkini sur les plages est une « restriction légitime » aux libertés, ajoutent les juristes, « dès lors que l’expression des convictions religieuses est inappropriée ». Un argument qui semble relever plus de la morale que du droit... Le tribunal explique également que les forces de police sont, au vu de la menace terroriste qui pèse sur la France, « très sollicitées », et qu’il n’apparaît « pas envisageable de les mobiliser encore davantage ». En clair : policiers et gendarmes ont autre chose à faire que de créer les conditions d’éventuels affrontements communautaires.
Enfin, pour évacuer toute discrimination alléguée par le CCIF, le tribunal relève que toutes les religions sont concernées par l’arrêté d’interdiction des signes religieux ostentatoires sur la plage, et que le burkini n’est pas le seul concerné. Me Guez Guez, avocat du CCIF, a annoncé déposer un recours devant le Conseil d’État et a tancé une « interprétation sans nuance » de la part des juges.
Il faut vraiment lire la décision du TA de Nice sur #VilleneuveLoubet pour comprendre que le dossier est politique. Il n’y a plus de droit.
— Marwan Muhammad (@Marwan_FX) 22 août 2016
« Un jugement de valeur », selon Serge Slama
Pour Serge Slama, maître de conférences en droit public, Université Paris Nanterre, CREDOF, cette nouvelle ordonnance rendue à trois juges permet des « possibilités très extensives des restrictions à l’expression de la liberté de religion dans un espace public comme une plage publique« . « La façon dont les juges présentent le burkini est troublant.
On a l’impression qu’ils émettent un jugement de valeur sur les lieux où il serait adéquat d’exprimer sa religion et sur ce qui consitue ou non une « expression appropriée des convictions religieuses ». Porter un burkini exprime certes un croyance religieuse mais est-ce la pratique d’un culte comme le serait le fait de pratiquer un rite ou une messe sur une plage publique? », interroge Serge Slama.
« Le burkini, ce sont des femmes qui pensent, à tort ou à raison, qu’elles doivent porter ce type de tenue, ajoute le juriste, tout comme le pape pense qu’il doit porter un vêtement particulier pour exercer son office ou encore un juif orthodoxe estime devoir porter un vêtement particulier non moins fondamentaliste. Avec ce type de raisonnement, on pourrait interdire des nombreux signes ou tenues religieux ostentatoires dans l’espace public. Que leurs détenteurs soient musulmans, catholiques, juifs ou autres. » Et Serge Slama de conclure : « Ce qui me choque, c’est que cet arrêté d’interdiction n’apparaît ni nécessaire, ni adapté, ni proportionné » à la sauvegarde de l’ordre public.
S’il est saisi en appel, le Conseil d’État se prononcera dans les prochains jours.