« Le marché du halal est une création récente des pays non musulmans »
Pour Florence Bergeaud-Blackler, le halal est devenu en quelques années un marqueur qui touche aussi bien la viande que les relations sexuelles.

Qu’est-ce que le halal, au sens stricto sensu ?
Florence Bergeaud-Blackler : Nous avons pris l’habitude de désigner par halal une « qualité » appliquée à des produits de consommation destinés aux musulmans, mais il s’agit là d’une définition contemporaine et… marchande. Car, en arabe, ce terme veut dire plus généralement « licite ». Il s’oppose à haram, l’interdit, qui peut aussi signifier sacré, de sorte que halal renvoie à la fois à ce qui est permis et à ce qui est profane.
Vous écrivez que le « marché halal » est une création récente. Qui l’a créé ?
Ce marché n’existait pas dans les pays musulmans avant les années 1980. Il a été institué par les pays non musulmans pour conquérir les marchés musulmans. Ainsi, en France jusqu’aux années 1990, le halal ne concernait que l’abattage rituel. L’élargissement du périmètre du halal à tous les produits consommables a été facilité par l’adoption des directives halal du Codex Alimentarius en 1997. En quelques mots, le Codex est un dispositif international créé en 1963 pour harmoniser les normes alimentaires d’abord pour des raisons sanitaires, puis pour éliminer les barrières techniques aux échanges internationaux. L’idée était d’inciter les pays musulmans à reconnaître une norme unique et éviter que le halal ne serve de prétexte pour protéger leur marché intérieur..
Mais le halal ne peut pas seulement être économique. La volonté de s’y conformer n’est-elle pas liée à une rigueur religieuse accrue ?
Il y a un effet d’entraînement mutuel entre un phénomène capitalistique et le fondamentalisme religieux. Comme l’a montré Olivier Roy, qu’il soit musulman, chrétien ou juif, le fondamentalisme religieux est parfaitement adapté au capitalisme mondialisé.
À l’instar du Codex, les organismes de normalisation internationale comme l’Organisation internationale de normalisation, le Comité européen de normalisation ou l’Afnor tentent aujourd’hui de mettre au point des normes « halal », qui ne sont pas obligatoires mais cependant plus contraignantes que celles du Codex.
Mais affinité ne veut pas dire accord…
Oui, bien sûr. Si les fondamentalistes ont la même conception que les marchands, leurs objectifs diffèrent. Ils visent à terme le contrôle du marché halal, et s’ils font des concessions, c’est pour y entrer. Les marchands, eux, n’ont qu’une vision à court terme, ils veulent vendre, et donc la stabilité avant tout.
Mais faut-il redouter le développement du halal ?
S’il faut redouter quelque chose, c’est la surenchère que favorise cette logique marchande. Le halal, ce n’est pas une série d’instructions religieuses – ni le Coran ni la sunna n’en parlent –, c’est un « jeu » dont les règles sont en perpétuelle transformation. L’enjeu pour les fondamentalistes, c’est d’imposer leurs propres règles. Initialement, le halal tel que le pensaient les Malaisiens était davantage conçu comme une marque de qualité : une fois le produit mis en conformité selon un cahier des charges, il obtenait la qualification « halal ». Aujourd’hui, j’observe le développement d’une conception « oummique » du halal : ce qui est licite ne doit pouvoir être produit et contrôlé que par des musulmans. Le produit est placé sous surveillance musulmane permanente jusqu’au consommateur, lui-même invité à adopter une conduite halal.
On est loin du temps où les musulmans de France allaient faire leurs achats de viande dans les boucheries casher de Belleville…
En effet, depuis vingt ans, ce que j’appelle l’« espace alimentaire musulman » se referme. Avant les années 1990, les boucheries halal étaient rares. Certains musulmans fréquentaient les boucheries casher dont ils jugeaient la viande licite, d’autres abattaient à la ferme, mais d’autres encore, et on a tendance à l’oublier, considéraient également comme licite la viande des boucheries conventionnelles.
Ils suivaient le verset 5 de la sourate 5 du Coran : « La nourriture des Gens du Livre vous est licite », qu’avait rappelé la célèbre « fatwa du Transvaal » de l’Égyptien Muhammad Abduh. Dans cet avis religieux datant de 1903, le grand réformateur autorisait les musulmans émigrés hors du monde musulman – ici en Afrique du Sud– à consommer la nourriture des chrétiens. Qui se souvient aujourd’hui de cet avis ?
Si halal signifiait viande de qualité, aujourd’hui pour savoir ce qui est de qualité on peut se brosser.
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La France se fait les couilles en or avec ce marché. Elle en inonde toute l’Afrique. La France leader du halal mais dans un meme temps qui aime polémiquer dessus. Complètement schizophrène ce pays. Complètement allumé.
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